Bonjour,
Plusieurs fils de discussion sur le forum du Naturaliste m'ont incité à écrire une série d'articles consacrés à la biologie moléculaire. Deux raisons au moins justifient, selon moi, leur présence sur le portail de notre site préféré : d'une part, cette discipline est au cœur de bien des débats de société actuels auxquels les naturalistes amateurs que nous sommes sont particulièrement sensibles (santé, environnement, agroalimentaire) et, d'autre part, son influence s'étend désormais jusque dans un domaine qui nous rassemble pour ainsi dire tous : le vivant, sa classification, son évolution et son utilisation par l'Homme.
Sachant que la formation scientifique des uns et des autres peut être plus ou moins étendue, et ne voulant perdre personne en route, j'ai décidé de découper mon propos en plusieurs courts articles et les proposer à la lecture sous forme de feuilleton. J'ai essayé de limiter le jargon à chaque fois que c'était possible sans nuire à la clarté de l'exposé. De même, le ton employé est généralement décontracté car il s'agit plus d'apporter des informations générales que d'écrire un cours de fac... Enfin, toutes les remarques ou suggestions visant à améliorer cet article (et les prochains à paraître) sont les bienvenues.
Bonne lecture !
Voici notre feuille de route :
- Épisode 1 - Généralités : ADN, génomes et gènes
- Épisode 2 - Techniques usuelles de biologie moléculaire
- Épisode 3 - Premières applications au laboratoire
- Épisode 4 - Agrobacterium tumefaciens et la transgenèse végétale
- Épisode 5 - La transplastomique, vers des OGM propres ?
Quelques définitions
La plupart des exposés, quel que soit leur sujet, commencent par des rappels historiques et des définitions : c'est un passage obligé, pénible à écrire et à présenter, mais comment faire... d'ailleurs, qu'est-ce que la génétique ? En fait, cette discipline regroupe plusieurs spécialités qui se sont développées à des époques différentes...
- Génétique mendélienne : La génétique mendélienne ou génétique formelle est la discipline qui s'intéresse à la transmission des caractères héréditaires entre des géniteurs et leur descendance. Elle repose sur les travaux pionniers de Gregor Mendel au monastère de Brno en Moravie. Les lecteurs intéressés par cette discipline peuvent consulter ce site. Nous n'en parlerons pas ici (quelqu'un me souffle à l'oreille que c'est tant mieux). De nos jours, les lois découvertes par Mendel sont toujours appliquées par les sélectionneurs et, de façon plus anecdotique, dans les laboratoires de recherche.
- Génétique moléculaire : La génétique moléculaire s'intéresse aux mécanismes moléculaires à l'œuvre dans l'expression et la transmission des caractères héréditaires. Cette « science des gènes » est une discipline récente qui a pris son essor pendant la deuxième moité du XXème siècle avec l'élucidation de la structure de l'ADN (Watson et Crick, 1953). Les découvertes se sont ensuite enchaînées à un rythme soutenu, avec comme point d'orgue le séquençage du génome humain par un consortium international entre 1990 et 2003. Cette discipline est au cœur des biotechnologies.
- Génétique évolutive : La génétique évolutive s'intéresse quant à elle aux gènes dans le contexte plus large de l'évolution. Elle est liée à l'étude des gènes dans les populations (génétique des populations) et apporte des contributions majeures en systématique et en phylogénie. C'est un domaine passionnant qui nous a déjà été présenté sur le Naturaliste par Gérard. Les lecteurs intéressés pourront aussi consulter ce cours de génétique des populations.
Génétique mendélienne : analyse d'un croisement
L'acide désoxyribonucléique (ADN)
L'acide désoxyribonucléique ou ADN est le support de l'information génétique. Il comporte une armature carbonée constituée de sucres (désoxyribose) reliés par des groupements phosphate sur laquelle se fixent des bases azotées (adénine A, thymine T, guanine G et cytosine C) Deux molécules d'ADN s'apparient pour former une double hélice grâce aux liaisons de faible énergie (ou liaisons hydrogène) qui s'établissent entre les bases azotées.

La séquence d'ADN est obtenue tout simplement en lisant la succession des bases azotées... mais il n'est pas nécessaire lire les deux brins, car vous avez sans doute remarqué qu'il existe des appariements bien précis : une adénine (A) s'associe à une thymine (T), tandis qu'une guanine (G) s'associe à une cytosine (C). Pour cette raison, on dit que les deux brins sont complémentaires.
Par ailleurs, les chimistes ont pris l'habitude de numéroter les atomes de carbone du désoxyribose de 1' à 5' (l'utilisation du prime permet de distinguer cette numérotation de celle, sans prime, des atomes présents dans les cycles des bases azotées). Remarquez, car c'est très important, que les deux brins possèdent une extrémité 5' terminée par un phosphate libre et une extrémité 3' terminée par un groupement OH libre, et que l'extrémité 5' libre d'un brin coïncide avec l'extrémité 3' de l'autre brin. C'est pour cette raison que l'on dit que les deux brins sont inverses.
En résumé, les deux brins sont complémentaires inverses. Dans une cellule humaine, les molécules d'ADN sont situées dans un compartiment, le noyau (c'est en fait vrai pour tous les organismes eucaryotes). Elles constituent la chromatine qui, à l'occasion des divisions cellulaires (aussi bien la mitose que la méiose), se condense pour former les chromosomes. Les chromosomes sont étudiés par les cytogénéticiens qui établissent des caryotypes et cherchent ainsi à mettre en évidence des anomalies de nombre et/ou de structure, des recombinaisons, etc...
Caryotype humain (individu de sexe masculin)
S'il te plaît, dessine-moi un génome...
L'ensemble de l'ADN d'une cellule constitue son génome. On trouve de l'ADN dans le noyau des cellules (génome nucléaire), comme nous l'avons déjà dit, mais aussi dans les mitochondries (génome mitochondrial) et les plastes des végétaux (génome plastidial). Dans cet article et dans l'immense majorité des textes de vulgarisation, le « génome » désigne en fait le génome nucléaire. J'utiliserai la même simplication partout où ce sera possible... mais vous verrez que, pour parler des biotechnologies végétales, nous devrons revenir à cette nuance.
Tous les génomes ne se ressemblent pas... il y a qui sont minuscules, d'autres petits, d'autres moyens... et il y a aussi bien sûr des génomes immenses. Parmi eux, le génome humain fait partie des poids lourds, mais ce n'est pas le plus gros !
Nom de l'organisme |
Taille du génome
|
Virus de l'immunodéficience humaine (VIH) |
9 749 paires de bases |
Bactérie Escherichia coli |
4 600 000 paires de bases |
Levure Saccharomyces cerevisiae
|
12 100 000 paires de bases |
Mouche du vinaigre Drosophila melanogaster |
130 000 000 paires de bases |
Plante modèle Arabidopsis thaliana |
157 000 000 paires de bases |
Abeille Apis mellifera
|
236 000 000 paires de bases |
Homme |
3 200 000 000 paires de bases |
Plante Paris japonica |
150 000 000 000 paires de bases |
Amiboïde Polychaos dubium |
670 000 000 000 paires de bases |
Premier enseignement, et non des moindres : la taille d'un génome ne reflète en aucun cas la complexité de l'organisme. C'est aussi vrai pour le nombre de gènes : certains génomes de petite taille comportent plus de gènes que des génomes plus volumineux... et nous verrons qu'il est possible d'obtenir plusieurs protéines à partir d'un même gène, ce qui rend caduque toute corrélation entre complexité et nombre de gènes. L'Homme possède un génome de plus de 3 milliards de paires de bases pour un peu moins de 30 000 gènes... mais 100 000 protéines (patience, il est encore trop tôt pour lever ce paradoxe).
Dernière remarque avant de passer au paragraphe suivant : on me dit que tous les génomes ne sont pas constitués d'ADN. C'est vrai, il y a aussi des génomes constitués d'ARN... mais c'est plus rare. En fait, à l'exception notable des virus, où tout est plus varié, la très grande majorité des organismes possède des génomes à ADN. Ouf...
Qu'est-ce qu'un gène ?
À la fac, on avait l'habitude de penser que le cours commence à devenir pointu quand les dessins perdent en esthétique... j'espère que le dessin suivant, aux finitions mal soignées, ne donnera pas pareille impression à mes lecteurs. 

- Schéma A : c'est la description la plus élémentaire d'un gène, considéré comme une boîte noire. Cette représentation permet de définir un génome comme un collier de perles où chaque perle représenterait un gène. L'espacement des perles dépend des organismes et explique en partie les variations observées dans la taille des génomes (voir au besoin le paragraphe précédent).
- Schéma B : c'est le schéma que l'on présente aux étudiants de première année de licence. Un gène est en fait constitué de trois parties : un promoteur qui contrôle l'expression spatio-temporelle du gène, un cadre ouvert de lecture (ORF ou open reading frame) qui contient la recette de fabrication de la protéine, et un terminateur qui marque la fin du gène.
- Schéma C : ce schéma légèrement plus élaboré permet de préciser la nature du promoteur, qui est désormais envisagé comme une région promotrice. Cette région comporte les éléments du promoteur proprement dit, mais également des séquences régulatrices où peuvent se fixer différentes molécules. Ces interactions participent à la régulation fine de l'expression du gène.
- Schéma D : ce schéma permet d'introduire deux notions nouvelles. Tout d'abord, l'existence de séquences éloignées situées en amont ou en aval d'un gène ou d'un groupe de gènes et qui augmentent (enhancer) ou diminuent leur niveau d'expression. Ensuite, ce que nous avons appelé cadre ouvert de lecture dans le schéma C est en fait constitué de deux régions non traduites (UTR ou untranslated) de part et d'autre du cadre ouvert de lecture (ou séquence codante) stricto sensu. Maintenant voici le fameux cauchemar des étudiants : la transcription de l'ADN en ARN messager (ARNm) s'effectue du +1 de transcription jusqu'à la région terminatrice, alors que la traduction de l'ARNm en protéine s'effectue du codon d'initiation (ATG, qui correspond à la méthionine) jusqu'au codon stop (TAA, TAG ou TGA)... les séquences 5' UTR et 3' UTR sont, comme leur nom l'indique, non traduites, mais elles jouent un rôle très important dans la régulation et la stabilité de l'ARNm.
- Schéma E : on ajoute encore un niveau de complexité... en fait, la région codante est constituée d'exons et d'introns. Seuls les exons sont transcrits en ARNm (les introns sont découpés et ignorés). Le mécanisme par lequel les exons sont découpés et assemblés pour former un ARNm porte le nom d'épissage. Attention, tous les exons disponibles ne sont pas toujours utilisés pour construire l'ARNm final. Certains sont même parfois mutuellement exclusifs... on parle alors d'épissage alternatif.
Cette dernière notion d'épissage nous permet de résoudre le paradoxe précédent : avec un seul gène, il est possible d'obtenir plusieurs protéines... et « plusieurs » c'est parfois beaucoup. À l'extrême, le gène dscam de la drosophile peut coder plus de 38 000 ARNm différents (Celotto et al., 2001). Cette découverte a fait tomber un vieux « dogme » de la génétique, selon lequel un gène code pour une seule protéine.
Résumons-nous...
Dans ce (pas si) court article, nous avons rappelé la structure de l'ADN et fait un tour d'horizon des génomes et de la structure des gènes. Nous allons donc pouvoir nous intéresser, dans le prochain article, aux outils de biologie moléculaire qui permettent de manipuler les gènes. Mais avant cela, je préfère recueillir l'avis des lecteurs sur le présent article : que faut-il détailler davantage ? que faut-il rendre plus explicite ? Je suis ouvert à toutes les suggestions.
C'est tout pour aujourd'hui. 
http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9iose
Re: Génétique moléculaire - Épisode 1
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André
Sunday, 12 December 2010 21:28
Bonsoir à tous
Merci Eddy ...cela nous laissera le temps de réviser la première partie ! 
[quote="André"]
Bonsoir à tous
Merci Eddy ...cela nous laissera le temps de réviser la première partie ! 
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Re: Génétique moléculaire - Épisode 1
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Eddy
Sunday, 12 December 2010 20:54
Bonsoir le forum,
La parution du deuxième épisode va connaître un peu de retard parce que, tout compte fait, les notions sont...
[quote="Eddy"]
Bonsoir le forum,
La parution du deuxième épisode va connaître un peu de retard parce que, tout compte fait, les notions sont plus simples à présenter à l'oral que par écrit...  Et puis il faut faire des schémas pour que ce soit lisible. À dans quelques jours donc !
Cordialement,
Eddy
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Re: Génétique moléculaire - Épisode 1
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Fredlab
Monday, 06 December 2010 21:30
Au pire, je pense qu'il est possible de poser quelques questions.
Il y aura peut-être quelques membres qui pourront répondre.
[quote="Fredlab"]
Au pire, je pense qu'il est possible de poser quelques questions.
Il y aura peut-être quelques membres qui pourront répondre.
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Re: Génétique moléculaire - Épisode 1
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Eddy
Monday, 06 December 2010 21:28
Bonsoir,
Merci pour vos nombreux commentaires.
Le deuxième épisode arrive bientôt.
Cordialement,
Eddy
[quote="Eddy"]
Bonsoir,
Merci pour vos nombreux commentaires.
Le deuxième épisode arrive bientôt. 
Cordialement,
Eddy
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Re: Génétique moléculaire - Épisode 1
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declic72
Monday, 06 December 2010 21:13
Bonsoir,
Quasiment ignare en biologie et encore pire en biologie moléculaire, je ne mourrai pas complétement idiot...
[quote="declic72"]
Bonsoir,
Quasiment ignare en biologie et encore pire en biologie moléculaire, je ne mourrai pas complétement idiot grâce à toi Eddy.
En m'aidant des renvois pour les détails, je pense, pour le moment, avoir tout compris ou presque. C'est un test...
J'attends la suite du feuilleton avec impatience et merci pour ce travail qui risque d'intéresser un grand nombre de membres et lecteurs sur ce forum.
Amicalement
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