Observation stéréoscopique avec un microscope binoculaire Imprimer
Écrit par Gérard Weiss   
Mercredi, 04 Janvier 2012 01:01


Lors d'une soirée au Club Français de Microscopie, notre collègue et ami Gérard Wastiaux nous a présenté un dispositif permettant l'observation en relief des préparations avec un microscope binoculaire. Ce dispositif est simple, peu coûteux et il devrait pouvoir être mis en œuvre facilement sur un instrument conventionnel à partir du moment où il comporte un condensateur.

Sommaire :

  • Comment ça marche ?
  • Exemple de réalisation
  • Faire des photos stéréoscopiques avec ce procédé
  • Discussion


Annexe


Comment ça marche ?

Le principe est très simple :


Le flux lumineux traversant le condensateur du microscope est divisé en deux parties égales : droite et gauche, à l'aide de deux filtres polarisants disposés côte à côte et croisés, c'est à dire ayant des directions de polarisation perpendiculaires entre elles. Dans ces conditions, l'objectif du microscope produit deux images superposées issues de deux éclairages obliques en sens opposés, ces deux images étant formées par des flux lumineux polarisés à  90° l'un de l'autre.

Il ne reste plus qu'à filtrer les deux images au niveau des oculaires à l'aide de deux autres filtres polarisants que nous appellerons "analyseurs", ces deux analyseurs ayant également des directions de polarisation croisées, l'analyseur droit laissant passer la lumière venant de la gauche et bloquant celle venant de la droite, et l'analyseur gauche faisant exactement le contraire.
Si la stéréoscopie n'apparaît pas, il suffit d'essayer à nouveau en permutant les directions de polarisation des analyseurs.


Exemple de réalisation

Le dispositif se prête a de nombreuses variantes de réalisation en fonction du matériel dont on dispose et de ce que l'on est en mesure de faire. Ce qui suit n'est donc qu'un mode particulier de réalisation parmi beaucoup d'autres possibles.


Montage du polariseur

La position idéale du polariseur est dans le plan focal objet du condensateur. Ainsi, l'image de la jonction entre les deux demi-polariseurs le constituant est projetée à l'infini et elle devient totalement invisible sur la préparation. Lorsqu'on s'écarte de cette position, une ombre de la jonction peut apparaître en flou avec les objectifs faibles, et aussi avec les objectifs moyens lorsque cet écart devient trop important.


En pratique, on peut mettre le polariseur pas trop loin du diaphragme d'ouverture du condensateur. Dans le cas présent, le polariseur double est monté dans un emplacement non utilisé du barillet d'un condensateur à contraste de phase Leitz 402a. Cette solution a l'avantage d'être pratique, mais elle présente aussi l'inconvénient de ne pas permettre de combiner l'observation stéréoscopique et l'observation en contraste de phase alors que ces deux procédés sont parfaitement compaptibles entre-eux.

 


Le polariseur est constitué ici de deux demi-lunes découpées dans du film polarisant et simplement posées côte à côte au fond du logement à l'intérieur du barillet. Un petit jonc annulaire, coupé dans du fil de fer de jardin, maintient les deux demi-lunes plaquées au fond du logement. Les deux vis à bout conique (non visibles sur la photo), permettant normalement le centrage du diaphragme, sont avancées au dessus du jonc de façon à bien maintenir le tout au fond du logement et à l'empêcher de bouger lorsque par exemple on donne un coup de soufflette pour enlever la poussière.

 


Réalisation du polariseur

Les deux demi-lunes constituant le polariseur sont découpées au cutter dans du film polarisant souple acheté dans le cas présent sur eBay. (Environ 20 euros avec le port pour un morceau de 15x20cm. Ce film est commercialisé pour observer les contraintes thermiques résiduelles dans les objets façonnés en verre.) Une qualité optique très moyenne est suffisante puisqu'on est au niveau de l'éclairage du microscope. Plutôt que de faire le tracé des demi-lunes directement sur le film, il est préférable d'utiliser un dessin imprimé sur une feuille de papier à l'aide d'un logiciel de dessin vectoriel, le dessin étant ensuite maintenu sur le film polarisant et découpé avec lui. 

 


A noter que le film polarisant utilisé est un matériau mince mais très dur ! Les lames de cutter souffrent beaucoup et il faut souvent les recasser pour avoir un nouveau tranchant. Afin de ne pas gaspiller le film polarisant, on peut utiliser toujours le même dessin sur lequel on rajoute à chaque fois les nouvelles découpes à effectuer insérées parmi les anciennes.(Le lecteur peut ainsi constater sur la photo ci-dessus que l'auteur en est à son troisième essai !)

 


Réalisation des analyseurs

Ont été utilisés pour cela des filtres polarisants en verre optique destinés aux objectifs de caméra. (Achetés sur eBay à Hong-Kong pour 7 à 8 euros la pièce, et avec port gratuit ! On les trouve dans des diamètres très divers.) Les filtres peuvent être simplement posés sur les oculaires mais ils se dérèglent ou tombent très (trop) facilement ! Ici, les filtres polarisants sont vissés sur des oculaires Leitz Periplan comportant un filetage de 28mm. On utilisera de préférence des oculaires pour porteur de lunette, car ils permettent d'éloigner les yeux, ce qui laisse de la place pour les analyseurs.


A noter que les directions de polarisation ont été repérées sur les analyseurs (traits rouges visibles sur la photo), ce qui permet d'enlever et de remettre instantanément les oculaires avec la bonne orientation, sans perdre du temps à refaire chaque fois un nouveau réglage.

Remarque : Les analyseurs vissés sur les oculaires présentent aussi l'avantage de protéger les lentilles d'oeuil de ces oculaires des salissures en tous genres. Pour nettoyer les analyseurs, il suffit de les dévisser et de les laver à l'eau tiède avec du savon et un petit pinceau d'aquarelliste... Pratique !

Lorsque la surépaisseur provoquée par les filtres au dessus des oculaires reste gênante, il est possible de la réduire de 2mm environ en enlevant l'écrou et en faisant tenir le verre à l'intérieur de la bague avec du ruban en Téflon utilisé habituellement en plomberie pour étancher les raccordements filetés de canalisation. Ces rubans sont disponibles dans tout bon magasin de bricolage.


Le filtre (fig.1) étant démonté (fig.2), on enroule le ruban de Téflon autour du verre (fig.2 toujours) puis on enfonce le tout dans la bague (fig.3). Le nombre de tours de Téflon doit être suffisant pour tenir solidement le verre, mais pas trop quand même (ici 15 tours) pour ne pas déchirer le téflon et pour ne pas briser le verre !  Si nécessaire, on peut casser l'angle, à l'entrée de la portée cylindrique de la bague tenant le verre, à l'aide d'un petit canif, ou mieux de notre Opinel national, afin d'éviter de déchirer le Téflon lorsque l'on enfonce le verre.
Ensuite (fig.3 et 4), on découpe délicatement le Téflon dépassant de chaque coté du verre à l'aide d'un cutter, en faisant attention à ne pas rayer les surfaces optiques. Il ne reste plus qu'à nettoyer les verres à l'eau tiède sous le robinet, avec du savon et un pinceau d'aquarelliste. C'est fait !

 


Marquer l'orientation des analyseurs

Différents procédés sont possibles, mais celui-ci paraît le plus simple et le plus sûr. Il consiste à disposer un filtre polarisant supplémentaire sur le hublot de sortie de la lumière dans le pied du microscope, et à l'orienter pour rendre complètement noir l'un quelconque des demi-polariseurs. On dispose aussi un gabarit autours des oculaires pour repérer les directions verticale et horizontale.


Le filtre polarisant supplémentaire est de ceux habituellement utilisés en photographie (ici un filtre de 52mm). Le gabarit est simplement tracé et découpé dans du Bristol.

Puisque l'un des deux demi-polariseurs est temporairement neutralisé par le filtre polarisant supplémentaire, il suffit de faire tourner les analyseurs jusqu'à l'extinction complète de la lumière et de marquer avec un feutre la direction horizontale ou verticale, ce choix n'ayant pas d'importance. Ces analyseurs seront ensuite utilisés : l'un avec les marques orientées à l'horizontale et l'autre avec les marques orientées à la verticale. Si la stéréo n'apparait pas, il suffit de permuter les orientations des analyseurs. C'est tout.


Faire des photos stéréoscopiques avec ce procédé

Deux solutions évidentes viennent immédiatement à l'esprit.

La première solution consiste à enlever polariseurs et analyseurs et à masquer successivement avec un cache au niveau du condensateur la moitié droite puis la moitié gauche du flux lumineux pour prendre les deux photos requises.

La seconde solution consiste à laisser le polariseur et à utiliser le filtre polarisant supplémentaire, déjà vu précédemment, pour neutraliser alternativement le demi-polariseur droit et le demi-polariseur gauche et prendre les photos. Mais cette seconde solution absorbe beaucoup de lumière !

A noter que le microscopiste courageux peut aussi combiner le stacking avec les méthodes ci-dessus pour obtenir des photos en stéréo avec une grande profondeur de champ, mais il lui faudra prendre deux séries de photos !

Enfin, pour visionner les photos en stéréo et en attendant de pouvoir s'offrir l'écran stéréoscopique de ses rêves, il est possible d'utiliser ces petites visionneuses LOREO régulièrement mise en vente sur eBay pour quelques euros seulement.


Ces visionneuses sont de simples boîtiers pliants en carton avec deux prismes permettant d'observer les photos stéréoscopiques constituées de deux vues cote à cote : gauche et droite, ou mieux de trois vues cote à cote : gauche - droite - gauche, ces photos étant alors visibles en stéréo par tous les individus, qu'ils aient une vue stéréoscopique dite "croisée" ou une vue dite "parallèle".


Discussion

Ainsi, l'effet stéréoscopique est obtenu par des différences d'éclairage entre les deux photos, et non comme habituellement par des différences de perspective. Il est moins accentué et demande un certain effort de concentration de la part du microscopiste. Mais ce petit effort en vaut la peine car l'observation stéréoscopique au microscope est bien plus agréable et il devient vite difficile de s'en passer par la suite. La stéréoscopie est plus marquée avec les objectifs de grossissement intermédiaire, soit 10x à 63x, mais elle reste encore perceptible aux grossissements extrêmes : 4x ou 100x. Les diatomées n'apparaissent plus comme des galettes ou des boites de Calissons toutes plates mais comme de véritables objets en 3D aux formes parfois complexes !

Malheureusement, la stéréoscopie selon ce procédé s'accompagne d'une certaine perte de résolution provenant du fait que l'éclairage oblique implique une réduction de l'ouverture du cône lumineux éclairant la préparation. Cette perte de résolution reste peu visible dans la plupart des cas, sauf lorsqu'on observe les fins motifs à la surface d'une diatomée.

Évidemment, il faut qu'il y ait du relief à observer pour voir une préparation en stéréo ! Ainsi, le présent dispositif est sans intérêt avec les coupes histologiques bien minces, les frottis, etc. Avec les préparations épaisses au contraire, il facilite la navigation entre les différents plans et permet de bien percevoir la structure 3D des objets observés, ceci malgré la faible profondeur de champ des microscopes. Les préparations peuvent être plus épaisses, donc plus simples à réaliser et plus proches de la réalité en 3D.

La photographie en stéréo avec cette technique est quant à elle un peu décevante, car l'effet stéréoscopique est encore moins marqué qu'en vision directe à travers les oculaires du microscope. Ceci provient vraisemblablement de la compression des images détruisant en partie les très faibles différences d'éclairage droite-gauche qui sont à l'origine de l'effet stéréoscopique. Ce dernier peut même pratiquement disparaître avec des objectifs très faibles ou très forts, ainsi qu'avec des images de tailles réduites ou imprimées... La méthode consistant à ne tirer qu'une seule série de photos et à reconstituer une vue stéréoscopique à l'aide d'un logiciel spécialisé comme PICOLAY (PICtures OverLAY) est préférable, mais il s'agit là d'un autre débat ! 



                       Essayez, vous verrez !

 


Annexe

Ci-dessous quelques exemples de photographies en stéréo réalisées avec la première méthode décrite précédemment, le révolver lui-même du condensateur à contraste de phase ayant été utilisé pour masquer alternativement les parties droite et gauche du faisceau lumineux, comme il permet déjà de le faire en éclairage oblique...

Ces photos sont du type gauche-droite-gauche pour qu'elles puissent être visualisées aussi bien par ceux qui ont une vision stéréoscopique dite "parallèle" que par ceux qui ont une vision stéréoscopique dite "croisée". Il suffit de regarder le doublet gauche-droite ou le doublet droite-gauche pour lequel l'effet stéréoscopique apparaît.

 

 

conjugaison de spirogyres 

 

 

conjugaison de spirogyres 

 

 

germination de pollen 

 


Mise à jour le Mercredi, 04 Janvier 2012 14:19