Bonjour tout le monde!
On continue...
Résumé de l'épisode précédent: D. Rosa a émis, en 1918, l'hypothèse d'une évolution par dédoublement des lignes phylogénétiques ("dichotomie des taxons").
Hennig va conceptualiser, magistralement, la théorie de la systématique phylogénétique, et donner ainsi le coup d'envoi à une rénovation radicale des approches évolutives.
On ne lui en voudra tout de même pas trop de ne pas avoir cité le travail de Rosa (qu'il a probablement connu lors de son séjour en Italie, lorsqu'il y a étudié la malaria) car il a aussi tout bonnement évité de citer Lamarck tout au long de ses travaux!
Sans doute un effet pervers de la polémique darwiniens/non-darwiniens...
Deux sous-sections: d'une part Willi Hennig, et d'autre part la cladistique au sens strict.
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Cladistique 2 (1)Willi Hennig (1913-1976)
Entomologiste allemand, il s'est intéressé notamment aux diptères. Il a ainsi travaillé sur les Cyclorrhaphes (Aschizes), lesTylidae (Micropezidae actuellement), rédigé le chapitre "Diptera" dans le "
Handbuch der Zoologie", etc.
Il a procédé à la révision de 14 familles (dont les Muscidae et les Anthomyiidae) dans le gigantesque "
Die Fliegen der palaearktischen Region" de E. Lindner.
Dès avant la guerre, il commence "
Die Larvenformen der Dipteren" qui sera publié à partir de 1948.*
Parallèlement, il s'intéresse ausi aux reptiles: Agamidae du genre
Draco** (qu'il révise), serpents (
Dendrophis***) avec des réflexions sur les problèmes de convergence évolutive.
Il a été aussi intéressé par la place des oiseaux dans l'évolution, qu'il considère comme faisant partie des Reptilia et en conclut que les crocodiliens et les oisaux sont des "groupes-frères", ce qu' E. Mayr considérait comme impossible, voire absurde, (voir la réplique d'Hennig à Mayr en 1974****)
S'il s'intéresse dès l'âge de 18 ans à la position de la systématique en zoologie, il est probable que son intérêt pour les insectes fossiles, notamment de l'ambre balte et de celui, plus ancien, du Liban (travaux datent notamment de 1938 et 1939 mais aussi plus tard, par exemple "
Wing venation and classification of the Diptera with special reference to the fossils described from the Mesozoic" en1954, et dans la période 1964-1972, 17 articles sur des groupes de Diptera de l'ambre balte, etc. ), va lui permettre de conforter sa réflexion relative à la systématique phylogénétique.
On trouvera la liste des travaux d'Hennig dans les
Beiträge zur Entomologie 28 (1); Berlin, 1978.
Par ailleurs, une grande partie des travaux relatifs aux Diptera (dont le gros travail sur les larves, en trois tomes), traduits en anglais, téléchargeables, sont présentés ici:
http://www.canacoll.org/Diptera/Main/diptera.htm.
Attention! De nombreuses traductions (gros fichiers!!!) ne comportent pas les figures, qui nécessitent de se reporter au travail originel!
Son plus important ouvrage,
Grundzüge einer Theorie der phylogenetischen Systematik. (Deutscher Zentralverlag, Berlin 1950*****). va fonder la cladistique.
Cette nouvelle approche repose sur quatre grands principes, énoncés ci-après, et que je vais décortiquer ensuite:
1- Les relations entre les espèces doivent être interprétés de manière strictement généalogique, en termes de lignées, formant des
clades (ou groupes monophylétiques). On peut en déduire une hypothèse phylogénétique. La notion de clade s'oppose à celle de grade (voir mes messages précédents)
2- Ce sont les
synapomorphies (partage de caractères dérivés) qui permettent d'identifier une ascendance commune.
3- Les regroupements par clades le sont sur la base du maximum de synapomorphies
4- La taxinomie doit être compatible avec le modèle phylogénétique, ce qui sous-entend qu'elle se doit de respecter les monophylies, et que les affectations à des niveaux taxinomiques (genre, famille, etc.) doivent en être strictement inspirées.
*Die Larvenformen der Dipteren. 3 parties. Akademie-Verlag, Berlin 1948-1952.
**Revision der Gattung
Draco (Agamidae).1936 in:
Temminckia.
1., 153-220.
***Die Schlangengattung
Dendrophis.1932 in:
Zoologischer Anzeiger.
99., 273-297
*****Cladistic analysis or cladistic classification? A reply to Ernst Mayr.1974 in:
Syst. Zool.
24., 244-256
****** traduit en anglais: Hennig W. 1999.
Phylogenetic Systematics (préface D. E Rosen & C.H. Patterson; traduction: R. Zangerl & . Davis U.D). University of Illinois Press. 280p en vente sur le web, pas trop cher, d'occasion.
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Cladistique 2 (2)Bon, maintenant, droit dans le vif du sujet, on va de nouveau "mickeytiser"..!
L'hypothèse de la cladistique est donc que deux taxons étroitement apparentés partagent ensemble des états de caractères dérivés (
apomorphes) hérités d'un ancêtre commun (les états ancestraux sont alors nommés
plésiomorphes).
L'apparition d'un même état de caractère dérivé dans des lignées différentes est nommée
homoplasie.
L'idée initiale est donc qu'un taxon est "
héritier avec modification" d'un taxon ancestral, et qu'il partage avec un taxon-frère (
sister-group) des états de caractères dérivés.
Les groupes constitués, par dichotomies successives, partagent ainsi, ensemble, des états de caractères dérivés communs, ces partages sont nommés synapomorphies et sont appelés clades ou groupes monophylétiques.
Un exemple:
Pour ne fâcher personne, et donc ne pas privilégier par exemple la zoologie vs. la bota.
, je vais utiliser des "taxons" plus triviaux: le randonneur , le monocycle, la draisienne, le vélo, la mobylette, soit travailler sur cinq façons pour l'être humain de se déplacer...
Attention, ce n'est PAS un arbre phylogénétique, car il serait quelque peu hasardeux (et complètement crétin!
) d'en déduire des ancêtres hypothétiques communs!
On se basera sur les caractères suivants, avec leurs états possibles:
1- présence/absence de pédalier (1/0)
2- présence/absence de selle (1/0)
3- présence/absence d'une roue (1/0)
4- présence/absence de deux roues (1/0)
5- présence/absence de moteur (1/0)
A noter tout de suite que cette matrice [caractères x taxons] souffre d'une insuffisance: elle comporte moins de 2n + 1 caractères (n étant le nombre de taxons). Mais cette caricature n'a pour but que de préciser les notions de base énoncées ci-dessus.
On verra plus loin l'importance de disposer d'un très grand nombre de caractères descriptifs ("total evidence"), en l'absence desquels on risque de calculer des cladogrammes faux (exemple du "phylum biaisé", voir
in fine, prochain message).
Je propose donc ci-dessous deux cladogrammes du phylum présumé: "être humain se déplaçant".
Je fais figurer également sur chacun la matrice de caractères complète, le codage se comprenant comme absence = 0, présence = 1.
On verra ultérieurement qu'il est possible d'utiliser des codages particuliers (par exemple "?" en particulier pour des fossiles)
Le premier cladogramme (Clado1) n'intègre pas encore le monocycle (taxon) ni le caractère "1 seule roue", le second (clado2) les fait apparaître, dans le but d'expliquer ce qui constitue une homoplasie, et d'expliquer ce qu'on entend par "longueur" d'un cladogramme. Je détaillerai plus loin.
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Sur la figure ci-dessus, on note l'apparition d'une polytomie entre [monocycle + vélo + moto].
Plusieurs remarques :
- pour comprendre la suite, il faut d'abord définir la notion d'
homoplasie. Une homoplasie révèle qu'un état de caractère n'est pas partagé par tous les taxons du groupe monophylétique. Ici, le clade en polytomie est soutenu par la présence d'un pédalier et d'une selle (synapomorphies). Mais le monocycle n'a pas 2 roues, donc il ne congrue pas totalement avec le clade.
En biologie de l'évolution, la convergence est la présence, chez deux espèces, de caractères analogues, d'une même adaptation, mais qui n'a pas été héritée d'un ancêtre commun. Exemple: cétacés et poissons.
La réversion est le retour d'un caractère dérivé à un état primitif. Exemple: les membres pairs sont plésiomorphes chez les vertébrés, or les serpents les ont perdus = réversion.
Il peut également s’agir d'une simple analogie entre organes qui ne sont pas homologues (Exemple: aile des insectes et aile des oiseaux)
Je rappelle que l'on parle d'homologie lorsque deux structures descendent d’une même structure chez l’ancêtre (caractère partagé). L'analogie est une "ressemblance" morphologique ou fonctionnelle, mais qui n'est pas héritée d’une même structure chez l’ancêtre.
Dans ce cas, on parlera de deux caractères différents.
- l'arbre figuré ici est un "arbre de consensus" (en quelque sorte un "arbre moyen" entre deux arbres également minimaux). Par arbre minimal (ou plus parcimonieux) on entend celui (ceux) où le nombre de changements d'états de caractères est le plus faible (longueur).
- ce nombre de pas est appelé "longueur de l'arbre". Il est minimisé au travers d'algorithmes que l'on examinera plus tard (
méthode de parcimonie). Pour comprendre ce dont il s'agit, j'ai figuré sur Clado2, sous forme de cercles verts, les changements d'états de caractères (de plésio à apomorphes, donc ici de 0 vers 1) et j'ai mentionné, de la même couleur, le caractère concerné. Pour minimiser la longueur ), on utilise un outil nommé "méthode de parcimonie", qui n'est qu'un outil recherchant la solution la plus simple entre toutes les hypothèses possibles. Par solution la plus simple, il faut lire celle qui représente le moins d'étapes, de changements d'état de caractère, donc qui minimise la longueur des arbres, en fait la solution dite « la plus économique ».
Bon, on s'arrête là pour ce soir!
La prochaine fois, je détaillerai quelques autres notions, dont la(les) parcimonie(s), la "total evidence", la notion d'attributs, etc.
Je proposerai aussi encore quelques pistes bibliographiques...
Il ne faut pas trop charger la mule car je crains que le lecteur ne prenne les arbres en grippe!
Pour ma part, je vais oublier ce ouikende les arbres d'encre et de papier sous les vrais, !
Bonne soirée!