Comme promis, nouvelle brève incursion au pays des Chrysididae !
Après les échanges fructueux sur le forum (voir : http://www.lenaturaliste.net/forum/viewtopic.php?f=42&t=6280
et http://www.lenaturaliste.net/forum/viewtopic.php?f=42&t=6377 à propos de ces jolis petits hyménos, j’ai tenté de chercher à mieux comprendre les relations « hôtes/parasites ».
Pour ce faire, je me suis attelé à la rédaction d’une matrice (voir ci-dessous) laquelle comporte 221 lignes (les hôtes) et 103 colonnes (les Chrysididae).
Cette matrice a été construite grâce aux données fournies dans l’excellent site italien déjà cité (chrysis.net) confortées par la compilation de la littérature que j’avais en stock, d’autres papiers étant à venir….
Donc cette matrice (originellement sous tableur) est évolutive au gré des informations complémentaires.
De plus, toute correction sera bienvenue !
Pour visionner le pdf joint, passer le zoom à x800% : c’est dodu !
Codification : 0= absence de relation ; 1= existence d’une relation hôte/parasite.
Une première remarque, de grande importance : de très nombreuses espèces sont mentionnées dans la littérature sans que ne soit indiquée l’espèce (les espèces) hôte(s).
Ainsi, si l’on poursuit le raisonnement, les taxons ainsi décrits l’ont été sur la seule base des adultes, les larves étant de fait, inconnues (puisque non trouvées sur le corps d’un hyméno. parasité, non cité).
C’est un peu déroutant, et correspondrait à décrire une nouvelle espèce de papillon sans rechercher sa chenille…
Or, la description des premiers états (larves donc) est indispensable pour assurer l’autochtonie d’un taxon !
Donc, mystère et boule de gomme, il y a kyrielle de Chrysididae sans larve connue, avis aux amateurs (il y a la place pour de nombreuses études, et papiers en découlant…). Si quelqu’un veut s’y atteler…
Bref, à partir de cette matrice, et en consultant ligne par ligne, et colonne par colonne les résultats, on note aussi que nombre de taxons seraient inféodées à une seule espèce-cible.
Possible, mais étrange.
Il est donc, en l’état actuel, très difficile de traiter le problème espèce par espèce.
D’où, à partir de la matrice-mère, construction d’une plus petite, « genres x genres ».
Les taxons caractérisés par une seule espèce-hôte sont exclus, ainsi que les espèces-hôtes n’étant parasitées que par une seule espèce de Chrysididae.
On évite ainsi d’alourdir le traitement des données en raison d’autapomorphies (voir définition dans le fil « évolution etc… » qui est en cours de complémentation, je ne l'ai pas oublié! ) multiples (le terme autapomorphie est cependant à moduler : il ne s’agit pas de caractères morphologiques, mais bien de relations hôtes/parasites. Il conviendra sans doute de proposer une autre appellation…).
La matrice réduite figure ci-dessous.
Ensuite, traitement des données !
Pour éviter tout arbitraire méthodologique, le choix s’est porté sur une analyse via la méthode de parcimonie, outgroup théorique vide (pas d’hôte parasité), logiciel Hennig86, calcul exhaustif, aucune pondération (donc pas de scénarisation).
L’arbre de consensus (de 13 arbres également parcimonieux : longueur 48 pas, Indice de Cohérence = 0,60 ; Indice de Rétention = 0,50) obtenu est présenté ci-après.
1- les 13 arbres également parcimonieux
2- arbre de consensus
On note une polytomie basale entre les genres Holopyga, Omalus, Pseudomalus, Chrysura, Pseudospinolia. Cependant, en examinant un à un les 13 arbres, on constate que 9 d’entre eux présentent un « clade » (regroupement) [Pseudomalus + Omalus] soutenu par une synapomorphie (caractère Passaloecus : Sphecidae). De même, 10 arbres comportent un « clade » incluant les genres Chrysis,Trichrysis, Hedychrum, Hedychridium et Pseudospinolia (soutenu par Odynerus : Eumenidae).
A côté de la polytomie basale de l’arbre de consensus, on trouve deux « clades » : [Hedychrum + Hedychridium] et [Chrysis + Trichrysis].
Ceux-ci sont respectivement soutenus par :
- pour Hedychridium et Hedychrum (Hedychrinae) : partage de la relation avec l’hôte Oxybelus (Sphecidae)
- pour Chrysis et Trichrysis (Chrysidinae): relation avec les hôtes Ancistrocerus (Eumenidae), Cemonus (Sphecidae), Ectemnius (Sphecidae), Nitela (Sphecidae), Heriades (Megachilidae).
Que déduire de tout cela ?
Tout d’abord qu’il reste beaucoup de travail pour conforter les données !
En revanche, et sur la base de ce qui est énoncé ci-dessus, on peut considérer qu’il existe des relations solides entre hôtes et parasites (donc que l’opportunisme semble à écarter).
On trouve ainsi de fortes convergences pour le choix de l’hôte dans des genres proches (Chrysis et Trichrysis, Hedychrum et Hedychridium, et probablement aussi Omalus et Pseudomalus). On devrait sans doute ultérieurement en démontrer d’autres.
On pourrait conforter l’analyse en utilisant une phylogénie des genres de Chrysididae existante (il en existerait une, à me procurer), et en lui affectant les hôtes en tant qu’attributs. On pourrait alors (peut-être !) vérifier s’il existe des congruences entre les taxons étudiés, et les hôtes qu’ils exploitent.
L’arbre de consensus tel que défini ici suggère que 3 familles d’hôtes constituent l’essentiel des hyménoptères parasités par les Chrysididae : Eumenidae, Sphecidae, Megachilidae.
On notera que les Colletidae semblent, en l’état actuel des connaissances, peu ciblés par les Chrysididae, et que les Melittidae ne sont pas mentionnés, contrairement à ce que nos propres observations avec Dasypoda hirtipes suggèrent…
On pourrait également examiner les problèmes de co-évolution de plus près.
On sait que l’on connaît des Chrysidoidea du Crétacé espagnol (" Chrysididae is the best represented Aculeata family in the amber of Penacerrada–Moraza, and all individuals seem to belong to the Cleptinae subfamily. Species of this family are abundant during the Early Cretaceous, mainly in compression deposits, constituting a minor group in amber. Some of the individuals seem to belong to a new family of Chrysidoidea. " in Delclos et al., 2007. Fossiliferous amber deposits from the Cretaceous (Albian) of Spain. C. R. Palevol. 6 : 135–149).
Or, on connaît aussi des Sphecidae du Crétacé (Archisphex crowsoni par exemple).
Donc, le problème de la co-évolution des Chrysididae et de leurs hôtes se pose clairement. Whitfield (2003)* en a ébauché les problématiques, mais depuis, c’est un peu le silencieux brouillard…
Il n’empêche : nous sommes face à des questions d’importance, sur le plan évolutif, et c’est là aussi que les naturalistes peuvent intervenir, (mais désormais l’an prochain, pour cause d’arrivée des frimas…) pour tenter de préciser un peu les relations entre Chrysididae et leurs victimes, notamment en complétant les listes actuelles !
J’espère ne pas avoir été trop abscons….
A dispo. évidemment !
Bonne journée à tous,
* Whitfield J.B. 2003. Phylogenetic insights into the evolution of parasitism in Hymenoptera. In The evolution of parasitism – a phylogenetic perspective. Advances in parasitology. 54 : 69-100