Bonjour à tous !
Une petite réflexion que je vous partage et pour laquelle j'accepterais volontiers toute critique constructive...
Histoires de pollen et d’insectes
Quand un insecte vient dans une fleur, il y vient se nourrir, soit de pollen, soit de nectar. Dans les deux cas, du pollen demeure accroché dans ses poils.
On voit ici une abeille dont la tête est enfouie dans les étamines d’amandier dont les grains de pollen sont nécessairement déposés sur sa toison :
Comme plusieurs espèces de plantes fleurissent en même temps, il est évident que des grains de pollen d’espèces différentes se retrouvent mélangés dans la pilosité d’un même insecte. Sur le stigmate, partie supérieure du pistil, on retrouve cette diversité des espèces visitées. Pour le démontrer, il suffit de prélever à la loupe plusieurs stigmates de la même plante et de les monter entre lames et lamelle après un nettoyage à l’alcool et une coloration. On constate alors qu’il y a des espèces paillasson sur lesquelles les abeilles et autres s’essuient…, comme le Caille-lait jaune (Galium verum Linné, 1753) sur lequel j’ai compté jusqu’à 4 pollens de forme différentes (jusqu’à 6 sur des Brunelles), c’est-à-dire de familles de plantes différentes ! Mais chez cette espèce, j’ai eu des difficultés à trouver au niveau des stigmates les grains de sa propre espèce.
Cette difficulté à trouver des grains de pollen de sa propre espèce collés au stigmate pose la question du devenir du grain lorsqu’il remplit son office : est-il absorbé ? Est-il vidé ?
Il est notable que certains grains de pollen peuvent perdre plus de 35% de leur eau, parfois plus, en attendant de pouvoir s’hydrater à un stigmate compatible (Voir Thèse Prieu). Cette stratégie permet de réduire la taille et le poids de grains, favorisant leurs déplacements.
Si chez les mammifères il existe un mécanisme biochimique de protection de l’ovule contre les intrusions multiples, chez les plantes le processus est différent. En effet chez la plupart des plantes, il faut que plusieurs grains de pollen puissent fertiliser les ovules qui sont parfois très nombreux, chacun donnant une graine. Il existe donc des barrières biochimiques qui autorisent le développent du tube pollinique de l’espèce considérée et qui inhibe le développement de ceux des autres espèces… Ce mécanisme se situe au niveau des cellules superficielles du stigmate.
Il inhibe aussi d’ailleurs, chez de très nombreuses espèces, la germination pollinique des grains issus de la même plante, on parle alors d’auto-incompatibilité pollinique. (Beaucoup de recherches actuelles en ce domaine !)
Les cellules superficielle du stigmate ne font pas que mettre à disposition l’eau nécessaire à la germination du grain de pollen, mais délivre aussi un passeport d’entrée sous forme de composés biochimiques apparemment liés aux phénols.
Extrait de Du pollen à l'ovule ou le difficile parcours du tube pollinique (pdf de Michel Derouet, membre du forum)
Au contact du stigmate, la couche des matériaux précédemment déposés à la surface du pollen se réhydrate. Cette couche devient fluide et s’écoule par gravité ou polarité vers le point de contact avec le stigmate. Le pollen subit alors une tension de surface et adhère aux papilles des stigmates. À la surface de ces papilles existe un récepteur qui lie la protéine SCR/SP11 présente à la surface du pollen. Le stigmate synthétise alors une glycoprotéine (SLG) qui augmente l’activité du récepteur. La fixation de cette protéine à son récepteur stigmatique déclenche une cascade d’évènements biochimiques qui, déjà, conduit à l’acceptation ou au rejet du pollen.
Des pollens “étrangers“ au genre peuvent ne pas se réhydrater sur le stigmate. L’absence de réhydratation du pollen altère grandement sa germination. C’est là un autre obstacle à franchir dans le cas d'hybridation intergénérique.
Cycle des angiospermes. Auteur : LadyofHats, Mariana Ruiz Traducteur : Cehagenmerak Licence Creative Commons (Extrait de Derouet)
C’est ce mécanisme qui chez des espèces proches phylogénétiquement, autorise parfois des hybridations. C’est, je pense, ce qui explique les périodes de floraison différentes dans le temps pour de nombreuses espèces appartenant à la même famille dans un même biotope : cette succession est nécessaire à la bonne singularisation des espèces qui sinon finiraient par s’hybrider en formant une nouvelle entité spécifique par harmonisation génétique. Un mécanisme évolutif rapide, rarement évoqué… mais qui pourrait expliquer en partie l’impact des multiples glaciations quaternaires sur la flore d’Europe. Car si l’isolat est un paramètre évolutif évident, la sympatrie n’est, à ma connaissance, jamais évoquée…
En guise de conclusion
Les multiples grains de pollen déposés accidentellement par les insectes pollinisateurs au niveau du stigmate de la plante font l’objet d’un tri au niveau de sa paroi cellulaire. La complexité biochimique sous-tendue est encore mystérieuse sous bien des aspects, d’autant que cette exclusion des grains de pollens étrangers est simultanément appliquée aux grains de pollen issus de la même fleur.
Force est de constater que depuis le dernier tiers du Crétacé ce système d’inclusion/exclusion fonctionne en dépit des multiples sollicitations complexes délivrées par les insectes… et le vent…