Bonjour tout le monde!
Avant d'entrer dans le vif du sujet, un petit préalable: comme je suppose qu'il y aura sans doute des interventions des uns ou des autres, je ferai systématiquement précéder le "corpus" de mes baratins successifs par le petit dessin ci-après. Je pense que cela permettra une lecture plus facile du fil...
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Un hénaurme merci aussi ici à Georges (alias Segroeg) qui a accepté de jouer le (faux!) candide pour relire
ex ante mes élucubrations, afin de m'éviter de dériver vers l'obscur, uniquement compréhensible par ma femme et mon chien...
Désolé aussi si, en ce premier acte du baratin promis, j'enfonce quelques portes ouvertes, mais je préfère que les concepts de base soient les plus clairs possible...
Acte 1, "l'évolution"...Je reviens en quelques mots sur les théories évolutionnistes, car elles sous-tendent bien entendu tout ce qui concerne la phylogénie.
Linné * (1707-1778) crée la nomenclature des trois règnes, minéral, végétal, animal (à partir de 1735 et jusqu'en 1770, 13ème édition) sur une base binomiale (classe-ordre puis surtout genre-espèce, exemple: (Insecta : Neuroptera):
Ephemera vulgata (page 906 edition 1767). Aujourd'hui on dirait: Insecta: Ephemeroptera:
Ephemera vulgata.
Cette nomenclature repose sur des ressemblances, et postule (suite aux travaux de J. Ray, botaniste du 17ème diècle) que les espèces sont des groupes d’individus qui engendrent, par la reproduction, d’autres individus semblables à eux-mêmes. Rien n'est dit en revanche sur le fait que lesdits individus fussent féconds ou non.
On retiendra ici la notion de "ressemblance" dont on parlera plus loin.
C'est en outre une analyse dite "fixiste", c'est-à-dire qui repose sur le postulat que les espèces ont été créées telles qu'elles sont aujourd'hui, et sont donc incapables de se modifier.
*Voir son
Systema Naturae, les éditions sont téléchargeables ici:
http://gallica.bnf.fr/Search?ArianeWireIndex=index&q=linn%C3%A9&lang=FR&sq=systemaCuvier (1773-1838) est lui aussi un fixiste convaincu (enfin, peut-être aussi la volonté de ne pas déplaire aux puissants de l'époque lui a-t-elle fait défendre cette position...
) mais qui s'est intéressé aux fossiles (on le considère comme le père de la paléontologie, essentiellement les vertébrés). Pour en expliquer la présence, malgré ses affinités créationnistes, il a été contraint d'adjoindre le concept de "catastrophes naturelles" (destruction d'une nature antérieure). Les espèces actuelles auraient été "créées" récemment, et les fossiles seraient des restes d'espèces irrémédiablement disparues. On lira par exemple son travail sur les éléphants.
L'intérêt de Cuvier cependant est que la documentation paléontologique entre enfin dans le champ de la recherche scientifique.
C'est d'une grande importance pour la suite.
Lamarck (1744-1829) évolutionniste, bien entendu, mais sa théorie (le transformisme, publiée en 1801**) est différente de celle de Darwin (plus tardive, 1859). En effet, Lamarck considère:
- que les espèces se modifieraient (complexification, et non pas "progrès" au sens moderne) parce qu'elles "chercheraient", sous pression des conditions environnementales, à être plus performantes (finalisme)
- qu'à l'inverse, un organe non utilisé dégénèrerait
- que de ce fait l'évolution est une auto-adaptation de l'espèce au milieu: voir l'exemple célèbre (mais caricaturé, notamment par Cuvier): la girafe a un long cou parce qu'elle doit chercher les feuilles dont elle se nourrit sur de grands arbres, et cette adaptation se transmet à sa descendance.
Idem pour le kangourou: "
En veut-on un plus frappant que celui que nous offre le kangourou? Cet animal, qui porte ses petits dans la poche qu'il a sous I'abdomen, a pris l'habitude de se tenir comme debout, posé seulement sur ses pieds de derrière et sur sa queue et de ne se déplacer qu'à l'aide d'une suite de sauts, dans lesquels il conserve son attitude redressée pour ne point gêner ses petits. Voici ce qui en est résulté : 1° Ses jambes de devant, dont il fait très peu d'usage et sur lesquelles il s'appuie seulement dans l'instant où il quitte son attitude redressée, n'ont jamais pris de développement proportionné à celui des autres parties et sont restées maigres, très petites et presque sans force ; 2° Les jambes de derrière, presque continuellement en action, soit pour soutenir tout le corps, soit pour exécuter les sauts, ont au contraire obtenu un développement considérable et sont devenues très grandes et très fortes ; 3* Enfin, la queue, que nous voyons ici fortement employée au soutien de l'animal et à l'exécution de ses principaux mouvements a acquis dans sa base une épaisseur et une force extrêmement remarquable." **.
C'est la première fois que l'on parle de transmission de caractères acquis, et de variabilité temporelle des espèces: "
Ainsi, parmi les corps vivans, la nature, comme je l' ai déjà dit, ne nous offre, d' une manière absolue, que des individus qui se succèdent les uns aux autres par la génération, et qui proviennent les uns des autres ; mais les espèces, parmi eux, n' ont qu' une constance relative, et ne sont invariables que temporairement"."***
C'est de plus la première fois que la documentation paléontologique est intégrée à une réflexion sur l'évolution.
On verra plus loin la différence fondamentale de Lamarck avec Darwin. mais le concept d'adaptation créé par Lamarck n'est probablement pas totalement à écarter: les crocodiles construisent des nids, le percnoptère casse les oeufs avec une pierre, etc., toutes actions qui impliqueraient qu'existe une relative finalité dans l'action qui, peut-être, se transmet. C'est la question de l'hérédité des caractères acquis.
Rappelons enfin que Lamarck (qui croyait cependant encore à la génération spontanée...) est le créateur de la biologie en tant que telle, et qu'il la définit notamment en 1802 (Hydrogéologie, texte intégral téléchargeable là:
http://www.lamarck.cnrs.fr/ice/ice_book_detail-fr-text-lamarck-ouvrages_lamarck-8-1.html)
** oeuvres de Lamarck ici:
http://www.biodiversitylibrary.org/Search.aspx?searchTerm=Lamarck&searchCat=*** page 74 in J.B Lamarck 1809.
Philosophie Zoologique - exposition des considérations relatives à l'histoire naturelle des animaux. Dentu , Paris. 422+450pp. téléchargeable ici:
http://www.lamarck.cnrs.fr/ice/ice_book_detail-fr-text-lamarck-ouvrages_lamarck-29-1.htmlGeoffroy Saint-Hilaire (1722-1844) apporte trois éclairages nouveaux qui seront repris ultérieurement: 1) alors que Lamarck voit en l'évolution un phénomène lent, graduel, Geoffroy l'envisage brusque (à l'échelle géologique), 2) Geoffroy suggère également l'
analogie entre les structures vivantes (aujourd'hui, on parlera d'
homologie); 3) Il montre, au travers de la découverte du
Teleosaurus, qu'il peut exister un ancêtre commun entre reptiles et mammifères... ceci au grand dam de Cuvier ("controverse des crocodiles"). On verra avec Darwin et Hennig la postérité donnée à ces concepts.
Darwin **** (1809-1882) Le plus simple est de reprendre l'exemple de la girafe de Lamarck. Si, pour ce dernier, la girafe voit son cou grandir parce qu'elle en a besoin pour manger les hautes feuilles des arbres, la conception de Darwin est que seules les girafes ayant un long cou peuvent survivre. Ainsi, il n'y a pas de "
désir" (entre guillemets, car c'est à comprendre plutôt comme le résultat des contraintes de l'environnement) de la part des espèces de se transformer, mais ce sont au contraire les contraintes du milieu qui font que seuls les individus les plus adaptés (dont des anomalies génétiques, par exemple un mammifère très poilu dans un environnement devenu froid) se reproduisent le mieux, et partant, supplantent les moins adaptés. Ces caractères nouveaux sont alors transmis à leurs descendants.
Il convient donc de retenir que survivent les espèces les mieux adaptées aux nouvelles conditions environnementales.
Darwin en tire alors la réflexion selon laquelle l'évolution du vivant est en forme d'arbre (un dessin de sa main l'atteste) dont certaines branches cessent de croître (espèces disparues) alors que d'autres émergent à partir de la divergence d'une branche. La vie est donc allée du plus simple vers le plus complexe, de mutation en mutation.
Cela n'exclut cependant évidemment pas une variabilité intra-spécifique.
**** 4618 documents à télécharger sur Gallica, là:
http://gallica.bnf.fr/Search?ArianeWireIndex=index&p=1&lang=FR&q=darwinLa suite au prochain épisode, avec Mayr, Hennig, Gould, gradualisme, équilibres ponctués et la phylogénie sensu stricto!
Critiques bienvenues...
Bonne nuit,