n'y a t il pas un paradoxe de voir tous ces domaines hyperspécialisés dans la littérature scientifique et en mème temps de dire que l'innovation est aux interfaces de plusieurs spécialités? Un chercheur peut il actuellement être "spécialiste " de plusieurs domaines?
C'est vrai, mais la vie elle-même est un paradoxe et c'est ce qui rend l'étude de ses processus si passionnante.
A mon avis, une formation scientifique bien faite comporte plusieurs étapes.
Si la première comporte l'accumulation d'un bagage de base pour édifier la compréhension générale, la deuxième est d'apprendre la méthode scientifique, avec pour cela évidemment la trituration d'un sujet défini. Je vois assez bien cette étape close avec un master. Le plus important avec cette étape, c'est que l'étudiant doit avoir appris à apprendre !
Seulement si c'est le cas, et en étant hyper-motivé, il pourra affronter les aléas de la recherche par une thèse dans le même domaine que précédemment ou un autre (ce qui est courant pour la biologie).
Où place -t-on la barre "spécialiste" dans ce parcours ?
Ayant appris à apprendre, un chercheur actuel "normal" devra pouvoir passer d'un domaine à l'autre de la biologie avec un temps d'adaptation minimal. Cela arrive relativement souvent dans l'industrie à la "mort" ou la vente d'un projet. Dans les années 2000 par exemple, la plupart des protéines-médicaments humaines produitent par biotechnologie l'étaient par des bactéries ou des levures. Remarquant que les glycosylations (ajout de sucres à la surface) des protéines étaient déficientes, l'industrie se tourna vers leur production au-moyen de cultures de cellules de mammifère. A ce moment, de nombreux experts de la génétique et de la bioproduction des bactéries et levures ont dû apprendre rapidement à maitriser les domaines de la modification génétique et de la culture de cellules de mammifère. Un changement ma foi très drastique.
Concernant les interfaces, j'ai parfois la demande de conseil par des étudiants qui hésitent à commencer une thèse. Vu la situation politico-économique actuelle, mon conseil est de ne pas commencer en cas d'hésitation, mais plutôt de faire un 2ème master dans un autre domaine. La probabilité de trouver un emploi en sera augmentée et la vision d'un problème à résoudre par deux points de vues est souvent très fructueuse, donc aussi recherchée.
Il faudrait aussi ajouter que la pléthore de publications dans les journaux "hyper-spécialisés" ne sont pas une preuve d'innovation. Actuellement, une majorité de publications sont du "data-mining" mais n'amènent que peu d'innovations. Je suis d'avis que les vraies innovations se produisent le plus souvent à l'interface de domaines scientifiques différents. Il me vient un dernier exemple à l'esprit: imaginez la création d' un robot pour une application biologique. Le biologiste et l'informaticien devont pouvoir se comprendre, sinon... l'argent et le temps vont disparaitre très rapidement....et le résultat sera probablement misérable.