Bonsoir le forum,
Je vous propose de considérer le problème à l'inverse de ce que l'on fait d'habitude : prenons le point de vue de l'agent pathogène, disons un oomycète (par exemple une espèce de
Phytophthora).
D'un côté, la
culture traditionnelle, ou à l'ancienne, comme vous voudrez. En quelques mots, les parcelles cultivées sont de taille assez modeste, les plantes ne sont pas engraissées à outrance, les
adventices se développent çà et là et les parcelles sont séparées les unes des autres par de petites haies non cultivées (type bocage).
De l'autre, la
culture à haut rendement, fortement mécanisée. Les parcelles sont très étendues, les plantes reçoivent de grandes quantités d'intrants, les adventices sont supprimées autant que possible et les parcelles sont souvent séparées par une piste permettant le passage des engins agricoles.
Que se passe-t-il pour l'agent pathogène ? Dans le premier cas, la haie constitue une barrière naturelle qui réduit la dissémination des (zoo)spores... qui plus est, les espèces de la haie ne sont peut-être pas aussi sensibles à l'agent pathogène que les espèces cultivées, ce qui retarde encore sa progression, voire la stoppe net. Supposons quand même que l'agent pathogène atteigne le champ. Il rencontre alors un mélange d'espèces cultivées et d'adventices variées, ce qui freine encore sa progression (même chose que pour la haie, il peut y avoir des plantes non-hôtes ou tout au moins peu sensibles parmi les adventices). Les doses modérées d'engrais ne favorisent pas la progression du pathogène.
Dans le second cas, c'est très différent. En l'absence de séparation physique entre les champs, le vent permet une large dissémination de l'agent pathogène. Le champ ne contient quasiment qu'un seul type de plante, lesquelles sont rendues plus sensibles par l'apport constant et abondant d'engrais. Les traitements phytosanitaires freinent certes la progression de l'agent pathogène, mais seulement de façon temporaire, car les individus tolérants, initialement minoritaires au sein de la population d'agents pathogènes, voient leur fréquence augmenter par rapport à celle, mise en péril, des individus sensibles au produit phytosanitaire.
La principale différence entre ces deux paysages agricoles, c'est le rendement. C'est là que se trouve la clef du problème. S'agissant d'une contrainte majeure dans l'agriculture actuelle (comprendre : il n'est pas question d'en changer, et il y a une kyrielle de raisons plus ou moins valables pour le justifier), il faut essayer de limiter les dégâts. Le recours aux plantes génétiquement modifiées (PGM) apparaît presque providentiel car il semble capable de résoudre le problème préoccupant des traitements phytosanitaires dont on commence tout juste à mesurer les effets sur la santé humaine (notamment les "cocktails" de produits qui subsistent à l'état de traces dans nos aliments).
Venons-en donc aux PGM. Je pense que, posé de cette façon, le problème est... mal posé. En fait, que la monoculture soit GM ou non, elle reste avant tout une monoculture, et ceci constitue une faiblesse majeure dont les agents pathogènes tirent rapidement parti. N'oublions pas que les populations d'agents pathogènes ne sont pas homogènes. On y trouve des individus plus ou moins tolérants à telle ou telle substance, et leur fréquence au sein des populations dépend pour beaucoup de la balance bénéfice/coût que représente pour eux cette tolérance.
Par exemple, des individus peuvent ne pas être affectés par de fortes doses du produit X ou Y, mais au prix d'une croissance plus lente. Ainsi, en l'absence du produit X ou Y, ces individus se reproduisent tardivement, colonisent des plantes déjà infectées par des individus à croissance plus rapide, et restent ainsi minoritaires : derniers arrivés, derniers servis. En revanche, dès que le produit X ou Y est utilisé régulièrement dans le champ, les individus résistants prennent le dessus sur les autres, tout simplement par qu'une croissance lente (résistance au pesticide) est toujours plus avantageuse que pas de croissance du tout (sensibilité au pesticide) ! Remarque : on notera que ce n'est pas le produit X ou Y qui crée les individus résistants ; il se contente de les sélectionner.
Et ce n'est pas tout ! Les génomes de ces agents pathogènes (je continue l'exemple des Phytophthora) évoluent selon une dynamique rapide, de sorte qu'il est illusoire de penser trouver une plante "résistante une bonne fois pour toutes", qu'elle soit sélectionnée de façon traditionnelle ou obtenue par génie génétique. Face à ce problème, on a tenté plusieurs approches : mélanger plusieurs résistances au sein d'un champ, créer des plantes GM exploitant plusieurs stratégies de résistance, etc. On essaie également de revenir, quoique timidement encore, à une certaine forme de rotation des cultures.
C'est exactement la même logique qui est à l'œuvre dans les hôpitaux. Dans un environnement où tel ou tel antibiotique est utilisé massivement et régulièrement, les souches résistantes voient leur fréquence augmenter artificiellement dans la population des agents pathogènes. Dans ce contexte, l'infection d'un patient par une souche multi-résistante devient hélas probable, alors qu'elle est quasi nulle hors du milieu hospitalier. C'est une simple question de probabilités : en milieu hospitalier, cette souche multi-résistante correspondra par exemple à 80% de la population de cette espèce, contre quelque chose comme 0.01% (voire moins) dans un autre contexte.
Tout ça pour dire que, à titre personnel, je ne suis pas vraiment convaincu par la pertinence des stratégies GM qui consistent à obtenir des lignées résistantes. Il me semble qu'il faudrait avant tout essayer d'adapter les pratiques agricoles actuelles pour qu'elles fassent moins la part belle aux agents pathogènes. Sans cela, nos efforts s'apparentent à du gâchis. Et puis, on apporterait par la même occasion un début de réponse à des problèmes pas si éloignés comme l'érosion accélérée des sols dans les grands champs, le lessivage des sols par les eaux de pluie, la contamination des nappes phréatiques et des cours d'eau, etc.
Alors, a-t-on besoin des plantes GM ? Peut-être, mais ailleurs. Elles prennent selon moi tout leur sens dans un autre contexte, où la sélection de variétés ne nous aide pas beaucoup : comme on disait plus haut, élaborer des variétés tolérantes au sel ou la sécheresse, capables de participer à la bioremédiation d'un sol contaminé, enrichies en tel ou tel composé pour éviter des carences au sein des populations (sur le mode du "riz doré"), ou rendues tout simplement comestibles alors que les plants d'origine sont toxiques (bloquer la synthèse du gossypol dans les graines de coton), etc. Là, nous avons beaucoup de perspectives à explorer.
Quant à concevoir des plantes GM tolérantes à un désherbant pour permettre aux exploitants d'épandre ledit désherbant sur des surfaces immenses, quitte à souiller durablement les sols, les nappes phréatiques et tout le réseau hydrographique d'une région, ça me paraît tout simplement
dément. D'autant que ce qui est vrai pour les agents pathogènes l'est aussi pour les plantes : tôt ou tard, des adventices tolérantes au désherbant s'épanouiront au milieu de la culture transgénique, et il faudra trouver une nouvelle molécule !
D'une certaine façon, nous ne jouons pas aux apprentis sorciers. C'est peut-être pire que cela : nous jouons un mauvais numéro, nous savons que nous le jouons, mais nous tâchons d'une manière ou d'une autre de nous persuader que ce que nous jouons est bien. Et ce n'est hélas pas limité à l'agro-alimentaire.
Cordialement,
Eddy