Travaillant aussi sur des marnes albiennes, je me suis penché récemment sur la stratigraphie de cette période ce qui a nourrit cette réflexion complémentaire.
La frontière entre le Crétacé Inférieur et le Crétacé Supérieur est une curiosité, pour ne pas dire une anomalie. Souvent, les frontières stratigraphiques reconnues pour définir les ères, les périodes, les époques, les étages correspondent à des phénomènes catastrophiques d’extinction, avec un renouvellement biologique plus ou moins important.
A la limite des époques « Inférieur » et « Supérieur » de la période Crétacé, rien de tout cela. Pas d’élément catastrophique, pas d’extinction massive. Les Unités Stratigraphiques étant internationalement obligatoirement définies par des organismes marins (et ratifiées par l’
ICS), Il fallait bien trouver quelque chose qui satisfasse à la règle, donc « apparition du foraminifère
Rotalipora globotruncanoides », ce qui, convenons-en, n’est pas vraiment un fait majeur…
En creusant un peu, on s’aperçoit que c’est aussi la période de diversification des squamates (serpent à pattes) dont le plus connu est le mosasaure.
Alors pourquoi les anciens ont-ils jugé bon d’instaurer cette coupure crétacique ?
L’explosion de diversité des angiospermes au début du Crétacé Supérieur est la réponse.
30 millions d’années auparavant, des angiospermes primitives aquatiques comme
Montsechia libèrent leur pollen dans l’eau, 15 ma plus tard, les nénuphars qui conservent une partie des caractères primitifs de leur ancêtres le libère de façon aérienne. Si le vent est un agent de transport suffisant pour les conifères qui larguent de véritable nuage de pollen, pour les angiospermes séxués, il vaut mieux un transporteur spécialisé, en un mot, un butineur. Bien qu’un certain nombre d’insectes participent à ce rôle aujourd’hui, il en est un particulièrement qui s’est totalement spécialisé, l’abeille. (20 000 espèces aujourd’hui)
L’abeille (Hymenoptera, Aculeates, Apoidea) est définie par son régime alimentaire composé de pollen et nectar à l’état adulte, ce qui le différencie des guêpes (Hymenoptera, Aculeates, Sphecoidea et Vespoidea) strictement carnivores.
La plus ancienne abeille connue est
Melittosphex burmensis découverte dans de l’ambre en Birmanie, avec ses peignes à pollen encore encombrés et décrite en 2006 par Poinar et Danforth dans Science, 2 Octobre 2006 (je n’ai pas trouvé l’article original). Elle est datée de 100 ma, soit très exactement au tout début de cette fameuse frontière temporelle qui voit le règne des angiospermes succéder à celui des conifères.
Ce n’est donc pas un évènement marquant océanique comme l’apparition d’un quelconque foraminifère qui délimite cette frontière stratigraphique, mais le début d’une coopération entre un insecte et une plante à fleurs, qui transformera rapidement le monde par sa réussite.
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