Bonsoir à tous,
Au cours d’un atelier sur la biologie des eaux du port du Havre que j’animais pour Fête de la Science, le 12 octobre dernier, j’ai voulu montrer au microscope des hydraires, des Obelia longissima, qui sont abondants dans tous les bassins du port, et dont nous avions quelques colonies dans l’aquarium. L’équipement était un Leitz Laborlux K à tout faire, équipé d’une caméra retransmettant par vidéoprojecteur les observations, et qui pouvait être remplacé par un Nikon D 80. Les Obelia n’étaient pas très frais, j’ai vite abandonné l’idée d’observer les cnidocystes (les cnidocystes d’hydraires sont tout petits, il vaut mieux utiliser les anémones de mer). A un moment, des OVNI sont apparus dans le champ du microscope. Fixés par un pédoncule sur les rameaux de l’hydraire, une sorte de sac, avec un équipement impressionnant d’épines allongées.
J’ai fait quelques photos, et, après avoir nagé un peu (c’est normal, pour un plongeur, non ?), après avoir soupçonné des Kamptozoaires (phylum mineur, mais ça ne ressemble jamais à ce que j’observais), j’en suis arrivé à la conclusion qu’il s’agissait des premiers stades de développement d’un bryozoaire.
Les larves de bryozoaires (en essaim groupé, d’où l’abondance sur les rameaux de cet hydraire), se fixent et se métamorphosent, la première loge est appelée ancestrula. Puis les loges bourgeonnent et la colonie se forme.
J’ai consulté un excellent spécialiste des bryozoaires, Hans De Blauwe. Je recommande le très bon bouquin qu’il a écrit, malheureusement en néerlandais, mais les images sont excellentes : DE BLAUWE H. 2009 – Mosdiertjes van de Zuidelijke Bocht van de Noordzee VLIZ, 445 p. Il m’a confirmé que c’étaient des ancestrula de bryozoaires, et, l’une d’elles ayant déjà bourgeonné la seconde loge, montrait sur cette loge une épine bifide caractéristique de l’espèce Tricellaria inopinata d’Hondt & Occhipinti Ambrogi.
Cette espèce est très abondante dans les bassins du port du Havre. Les auteurs l’avaient décrite en 1985 dans la lagune de Venise. Depuis, elle a été repérée un peu partout sur les côtes d’Europe, principalement en domaine paralique (c’est-à-dire les ports, estuaires, bassins et lagunes littoraux…). Connue dans le port du Havre depuis 2003, elle s’y est bien implantée, constitue des populations florissantes, et y a fait régresser une espèce indigène qui a une biologie comparable, Bugula stolonifera Ryland, qui est, en une dizaine d’années, passée du statut de très abondante à celui de très rare. Notre Tricellaria inopinata est donc non seulement une espèce introduite, mais encore une espèce invasive.
Heureux de pouvoir partager cette observation (une première pour moi) de ses ancestrula et des premiers stades de son développement !
Cordialement
Gérard Breton