Hybride Neotinea tridentata x ustulata et la notion de genre

Hybride Neotinea tridentata x ustulata et la notion de genre

Messagede Daniel » 11 Mai 2015 21:44

L'orchis brûlé Neotinea ustulata est présent dans les prés maigres de toute la France.
Les inflorescences ont une couleur caractéristiques brun rouge très foncé.
Il a déja été présenté par Christian dans ce post
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L'orchis tridenté Neotinea tridentata est une espèce plus méditerranéenne qui n'est présente en France que dans le quart sud est. Il est de taille plus importante, avec une inflorescence plus courte et plus globuleuse. Les fleurs sont aussi d'un rose plus pâle.
Neotinea tridentata_8886rec.jpg
Exif et Meta MicroCartouche Neotinea tridentata_8886rec.jpg (46.94 Kio) Vu 3514 fois

Les 2 espèces sont présentes côte à côte dans des pelouses ardèchoises et des individus hybrides entre elles sont assez fréquents dans certaines stations. Ils se reconnaissent assez facilement à leur aspect intermédiaire: port d'ustulata, couleur et ponctuations de tridentata en particulier...
hybride_8908rec.jpg
Exif et Meta MicroCartouche hybride_8908rec.jpg (46.6 Kio) Vu 3512 fois

Ces 2 espèces appartenaient jusqu'il y a peu au genre Orchis. Mais récemment, des travaux d'analyse moléculaire ont montré que 3 groupes se détachaient, dont un avec les espèces citées dans ce post avec des fleurs petites et nombreuses, aux labelles trilobés. Les auteurs de ces études ont donc proposé de découper l'ancien genre Orchis en 3.
Comme un des groupes comportait une petite espèce dans le genre monospécifique alors Neotinea, ce nom a été choisi pour désigner un genre élargi avec cette espèce et 5 autres issues du genre Orchis s.l.

Le fait que les espèces de ce genre s'hybrident entre elles montre bien la proximité génétique et justifie le regroupement dans un genre.

Le même constat de proximité génétique renforcé par la présence d'hybrides est valable pour le genre Anacamptis qui a été agrandi simultanément avec une autre partie de l'ancien grand genre Orchis.

Ainsi la notion biologique de genre, qui peut apparaitre au premier abord assez artificielle, est un regroupement d'espèces ayant des caractères en commun ; la notion biologique de genre prend donc un peu plus de signification.

Néanmoins, il y a encore des exceptions aux règles chez les orchidées car le genre Anacamptis fournit parfois des hybrides avec le genre Serapias...
Daniel Nardin
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Re: Hybride Neotinea tridentata x ustulata et la notion de genre

Messagede Gérard-Breton » 12 Mai 2015 13:42

Bonjour Daniel,

Un grand merci pour la démonstration. Je suis d'accord avec toi, le genre est une catégorie un peu moins artificielle quand on peut y regrouper des espèces qui s'hybrident. L'exemple de tes orchidées est superbe (biologiquement et photographiquement). Mais tu m'accorderas que chez les animaux qui s'hybrident bien moins facilement que les végétaux, les critères de rassemblement dans un même genre sont souvent bien arbitraires et dépendent parfois plus de l'intuition du zoologiste que de critères objectifs (je sens que les molécularistes vont hurler). Et qu'en est-il des genres chez les organismes haploïdes ? Et chez les diatomées, pour interpeller plusieurs membres diatomistes éminents du forum ? Et, par pure taquinerie, j'évoque le genre en paléontologie et en particulier le chronogenre : quid ? La catégorie-genre reste, lorsqu'il n'y a pas d'étude moléculaire, un morphogenre. Le plus étonnant, et là je rends hommage à nos grands ancêtres naturalistes, c'est que de tels morphogenres survivent souvent très bien aux études moléculaires ou cladistiques. Les grands zoologistes (botanistes, naturalistes, paléontologues...) du siècle dernier et du précédent ont fait un boulot extraordinaire. Je crois que c'est la familiarité avec leur sujet d'étude qui rendait leurs conclusions taxinomiques si pertinentes.

Quant à l'hybridation (avec descendants fertiles, s'il vous plaît !) elle traduit bien une proximité des deux espèces, la proximité chromosomique pour que la caryogamie puisse avoir lieu. Le naturaliste, lui, n'aura vu que la proximité phénotypique (cf. l'exemple de tes orchidées). Le moléculariste aura à sa disposition la proximité des acides nucléiques ou des protéines ... A quand la synthèse ? Mais sera-t-elle suffisante ?

Ma position en pratique est en général très indifférente, voire fataliste. Je m'explique. Un zoologiste a dit que Polybius puber n'était plus dans le genre Polybius mais dans le genre Necora ? C'est très bien, va donc pour Necora, sans état d'âme. Le principal est de savoir "de quoi on cause" : dans Necora puber, c'est puber qui est le plus important et qui permet de désigner l'espèce sans ambiguité. Le genre, ça va, ça vient...

Et aux amateurs qui se plaignent parfois amèrement de ces changements de noms, j'ai pour habitude de répondre "réjouissons nous au contraire car cela traduit un progrès, une amélioration de la précision de nos connaissances." Ce qui est le plus souvent vrai, mais hélas pas toujours.

Excuse mes propos un peu décousus, un peu à bâtons rompus ...

Cordialement

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Re: Hybride Neotinea tridentata x ustulata et la notion de genre

Messagede DanielCrabbé » 12 Mai 2015 16:41

Bonjour Gérard, Daniel,

Merci pour cette intéressante discussion.
Je profite de votre érudition pour vous poser une question.
J'ai lu ce matin un article en anglais sur le genre Oenothera en Belgique. Outre le fait qu'on en est actuellement à 27 espèces pour le pays (j'ai directement pensé à vous), il y a un terme dans l'article qui me pose question. On y parle en anglais de "stabilized hybrids" ce qui est traduit dans l'abstract en français par "espèces hybridogènes".
C'est une traduction qui n'est certes pas littérale mais qui je l'espère couvre le même concept.
En savez-vous plus ?

Amicalement.

Daniel

PS: entretemps je crois que j'ai trouvé. Ce serait un hybride fertile. Je laisse quand même mon post pour que tout le monde puisse profiter de cette notion qui m'était inconnue.
Amicalement.

Daniel Crabbé

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Re: Hybride Neotinea tridentata x ustulata et la notion de genre

Messagede Gérard-Breton » 12 Mai 2015 17:55

Bonsoir Daniel, Daniel,

Oui ce sont des hybrides fertiles, mais pas seulement. Je ne connais pas le cas des Oenanthera, je raisonne donc en général.

Deux hybrides qui se reproduisent peuvent voir leurs caractères se disperser complètement au fil des générations, d'une manière que la génétique mendélienne explique fort bien. Ce développement serait un peu long ici, il suffit de savoir que la constance des caractères est assurée chez les descendants de deux parents différents à la première génération (dite F1), mais que si on sème des graines de F1, ça part en vrille et on peut voir n'importe quelle résurgence de caractères dans la F2, la F3 etc. C'est pour cela que les semenciers proposent des "hybrides F1", il ne faut pas croire que ce sont des hybrides de course.

Le raisonnement précédent s'applique aux hybrides entre variétés (en horticulure, par exemple), mais aussi aux hybrides entre espèces. Cependant, on a remarqué que certaines hybridations entre espèces (tes Oenathera par exemple) conduisent à des descendants stables, qui ne subissent pas cette dissociation des caractères : c'est le "stabilized hybrid".

Chez les végétaux principalement, à cause de cette stabilisation des hybrides et à condition que des mécanismes limitant la fécondation entre les hybrides et les espèces-parentes se mettent en place, l'hybridation est un facteur d'émergence de nouvelles espèces, donc un mécanisme d'évolution. Ces nouvelles espèces sont logiquement appelées en français "espèces hybridogènes".

Cordialement

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Re: Hybride Neotinea tridentata x ustulata et la notion de genre

Messagede Daniel » 12 Mai 2015 20:39

Bonsoir à tous,
Christian va m'en vouloir d'avoir profité de présentations en collection pour susciter un débat. Mais il est certain que ces questions de taxonomie me tiennent à coeur. Et peu importe le cadre, l'essentiel est le contenu!

Mème chez les animaux, l'hybridation peut servir à justifier le rassemblement dans un genre. Je pense par exemple à Panthera avec P.leo qui se croise avec P. tigris .
Mais la aussi, il y a des hybridations entre des genres que j'aurais cru trop éloignés à priori: par exemple lorsque l'on m'a dit que l'ours blanc se croisait avec le Grizzli, j'ai d'abord cru à un canular car les espèces sont éloignées morphologiquement et les zoologues les avaient placées dans des genres différents, Thalarctos et Ursus. (Mais j'ai lu depuis que l'ours blanc avait rebasculé dans Ursus, peut être à cause de la nouvelle de ces hybrides...

Il est certain que la catégorie "espèce" est plus importante. Mais elle pose aussi des problèmes de définition. Je pensais relancer sur l'espèce en vous racontant mes observations du dernier WE en compagnie d'orchidophiles qui ont parfois l'habitude de couper les espèces en 4!
Mais Daniel m'a devancé avec l'exemple du genre Oenothera qui non seulement pose le problème de l'hybridation, mais aussi des mutations. Il semble que certaines mutations donnent naissance à des formes reconnaissable morphologiquement et que l'on pourrait donc considèrer comme des "espèces" en suivant une démarche très analytique basée sur la morphologie. Résultat: une inflation de "petites" espèces auquelles on peut préférer une grande espèce fourre tout, celle de Linné Oenothera biennis ...

Je ne connais pas non plus le détail des Oenothera (bien qu'il me semble avoir lu que c'est un cas d'école de la génétique). Concernant les hybrides, lorsque plusieurs gènes sont en cause pour un caractère discriminant entre espèces, il peut y avoir une situation ou des populations intermédiaires existent avec plus ou moins des caractères d'une espèce ou de l'autre en fonction du nombre de parents d'une espèce ou de l'autre parmi les ancètres . On parle alors d'introgression. Les chènes sont bien connus pour cela et il existe toute une gamme d'intermédiaires entre Quercus pubescens et Quercus sessilis par exemple.

Il faut me laisser un peu de temps pour préparer mes images d'hybrides d'Ophrys...
Daniel Nardin
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