Au cours de nos échanges au sujet de l’identification des Brachypodes, j’avais indiqué qu’on pouvait identifier Brachypodium sylvaticum à partir de la présence de son parasite : Epichloe sylvatica.
(voir : http://lenaturaliste.net/forum/viewtopi ... 97&t=24480
et : http://lenaturaliste.net/forum/viewtopi ... um#p139034 )
La présence de Quenouilles sur un Brachypode permet d’affirmer avec fiabilité que l’hôte est B. sylvaticum et que le parasite est Epichloe sylvatica (Epichloe sylvatica Leuchtm. & Schardl, 1998)
Comme il n’y a pas que les graminées dans la vie, je propose une présentation de ce champignon ascomycète, exclusif de B. sylvaticum, sachant que d’autres Epichloe parasitent d’autres poacées, mais ces champignons se développent uniquement sur graminées.
B. sylvaticum permet de faire une liaison « plantes - champignons » (bien sûr, il y a d’innombrables champignons parasites, symbiotiques, saprophytes … avec les plantes). Mais, les espèces de brachypodes constituent un bon sujet, abordable assez facilement par les naturalistes :
- • pour les botanistes en raison d’une détermination des espèces, pas toujours facile
• mais aussi pour les mycologues, puisqu’une espèce de brachypode est victime de ce champignon parasite
En l’occurrence, si la Quenouille des Graminées est le nom générique de la maladie provoquée par les Epichloe, c’est le seul Epichloe sylvatica qui attaque le Brachypode des Bois, Brachypodium sylvaticum.
L’Epichloe est un champignon ascomycète au développement complexe, comme souvent pour cet embranchement (ou phylum ou division) des champignons.
La plupart des Epichloe présentent deux stades, un asexué et un sexué assurant la reproduction, mais il peut y avoir également une reproduction asexuée :
- 1. Stade asexué dit Anamorphe (alors nommé Neotyphodium sp.), à l’intérieur des tissus des tiges, invisible à l’extérieur et sans manifestation, ni gêne pour la plante.
2. Stade sexué dit Téléomorphe (alors nommé Epichloe …) qui se développe à l’extérieur de la plante en formant un manchon sur les gaines et tiges « le stroma ». Ce stroma est en fait, dans un premier temps, avant fécondation, un foisonnement externe du mycélium interne.
Ce parasite n’est pas très fréquent en France, mais aux USA il est répandu et provoque une baisse significative des rendements, particulièrement des prairies de dactyle.
La reproduction du champignon est très particulière car elle nécessite l’intervention d’une mouche du genre Botanophila. En effet, le stroma blanc (mycélium d’un seul individu d’Epichloe) doit être « fécondé » par des spores asexuées, les conidies *, venant d’un autre individu. Les conidies sont apportées par la mouche lors de la ponte sur le stroma. Les conidies forment alors avec les filaments du stroma des périthèces (petites excroissances cratériformes au centre orange (ostiole), produisant des ascospores filiformes (groupées par 8 dans les asques) dispersées par le vent qui vont fructifier en générant de nouvelles spores asexuées ou conidies qui seront elles-mêmes transportées vers une autre quenouille par la mouche Botanophila. Le cycle se poursuit…
(*) selon Leyronas et Raynal (INRA 2008) ce sont les spermaties provenant des spores réniformes initiales d’un stroma qui assurent cette première fécondation croisée d’un autre stroma grâce à Botanophila !
• La conservation hivernale de l’espèce se ferait par les semences de la graminée, mais aussi par une migration du champignon à la base des tiges dans la région du pied pour les plantes pérennes.
• Les Epichloe, selon des recherches philogénétiques, se sont développés en même temps que les graminées qu’ils parasitent depuis la fin du jurassique et subsistent ainsi associés à la plante depuis cette époque …
• Hormis la sempiternelle expression « en conditions favorables », je n’ai pas trouvé l’explication de ces conditions favorables qui déclenchent la sortie du mycélium des tiges pour former le stroma.
Cycle de reproduction :
- 1. La semence infectée germe et donne une plante de l’espèce de graminée concernée
2. Le mycélium colonise les tissus de la plante, mais reste à l’intérieur dans un premier temps ou le reste tout le temps pour les espèces d’Epichloe qui sont endophytes (= qui ne quittent pas l’intérieur des tissus et ne forment pas de stroma en surface « quenouille ou manchon »). Ces Epichloe endophytes ne nuisent pas à la plante et se multiplient par voie végétative sans fécondation en court-circuitant les phases externes. Ce sont ces espèces endophytes qui produisent certains alcaloïdes toxiques pour les animaux
3. Chez les Epichloe épiphytes, le mycélium sort à l’extérieur de la plante en formant un stroma (= Epichloe qui se développent à la surface de la plante. Ce sont ceux qui annihilent la floraison des graminées. Ils ne produisent pas d’alcaloïdes toxiques)
4. Le stroma produit des spores primaires réniformes, les spermaties (gamète mâle), qui sont transportées par les mouches Botanophila vers un autre stroma. Ces spores « fécondent » le tissu du stroma pour former les périthèces. Les stroma sont compatibles entre eux, mais un stroma étant issu d’un seul individu d’Epichloe il ne peut pas s’autoféconder. Il faut une fécondation croisée.
5. Dans le périthèce les asques (autour de 150x5 µm) se forment avec dans chacune 8 ascospores ( autour de 150x1 µm). Ce sont les ostioles des périthèces qui donnent, à maturité, la couleur orangée des quenouilles.
6. Puis après ouverture des asques les ascospores sont dispersées par le vent …
… et formeraient une trame à la surface des graminées produisant des conidies
qui vont infecter les plantes :
- a. Dans les semences en pénétrant par les stigmates lors de l’anthèse selon Leutchmann et Shardl
b. Cette infection par les stigmates n’est pas mentionnée par Leyronas et Raynal qui estiment le mécanisme mal connu
8. Il y aurait aussi possibilité de conservation du mycélium dans les parties basses des plantes pérennes.
Alors l’Epichloe, champignon parasite ou symbiote ?
La symbiose est réelle entre la mouche Botanophila, qui assure la fécondation du stroma de l’Epichloe et le champignon Epichloe, ce dernier nourrissant les larves de Botanophila.
Mais l’Epichloe est bel et bien un parasite des graminées puisqu’il annihile leur floraison !
Néanmoins, la plante pourrait trouver un bénéfice à la présence de ce champignon :
- Le stade asexué anamorphe qui se développe à l’intérieur des tiges de plusieurs genres de graminées ne gêne pas ces dernières car le mycélium vit sans détruire les cellules ! Il aurait un rôle bénéfique pour la graminée car il la préserverait de certains stress et développe des alcaloïdes toxiques pour les herbivores, substances comparables à celles de l’Ergot du seigle, Claviceps purpurea (mais noter qu’E. sylvatica n’émettrait pas de toxines selon Leutchmann (ETH Zurich) comme tous les Epichloe épiphytes !).
Les Epichloe et Claviceps sont de la famille les Clavicipitaceae ce qui peut expliquer les toxines. On peut noter que l’Epichloe est également assez proche du bien connu Cordiceps militaris qui parasite les chenilles processionnaires du pin … à voir à Chantérac lors de la sortie annuelle SMP24 de décembre !
En fait … beaucoup de mystères et peu de publications scientifiques !
Nous pourrons y revenir, avec d'autres Epichloe ...
Bonne soirée
Cordialement
Jean-François